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Histoire à la Carte

Le Livre

Ainsi que le prédisait Auguste Escoffier, la gastronomie n’est pas un art capable de se fixer définitivement : il reflète la société et, donc, évolue avec elle.

Comment comprendre le civet à la royale, tellement fondant en bouche qu’il suspend le temps, si l’on ignore qu’il a été créé pour Louis XIV, chasseur passionné et grand amateur de gibier, mais édenté sur la fin de sa vie ? Pourquoi la choucroute, plat inventé par les Chinois il y a des millénaires, n’est-elle devenue populaire en France qu’à l’orée du XXe siècle, sinon parce que la guerre de 1870 a poussé de nombreux Alsaciens à l’exode ?

Quelle autre raison que l’arrivée massive des pieds noirs après la guerre d’Algérie a conduit le couscous, pourtant connu à Paris depuis le milieu du XIXe siècle, à devenir le plat préféré de nos compatriotes seulement cent cinquante plus tard ?

Mon ami Thierry Marx, chef aux deux étoiles Michelin, maîtrise les mets ; j’aime jouer avec les mots. Voici le livre de notre émission hebdomadaire sur France Info, sous le regard amusé du dessinateur Serge Bloch, et avec la complicité de la photographe Mathilde de l’Écotais.

La Martinière, 2015 (prix des Écrivains gastronomes 2016)

Quatrième de couverture

C’est l’histoire du Lièvre à la royale, tendre gibier cuisiné pour un Louis XIV édenté ; de la Pêche Melba, aussi frissonnante que la cantatrice qui lui a donné son nom ; du Hamburger qui remonterait à Gengis Khan ; de la Blanquette de veau et du Paris-Brest.

Parmi les plus grandes recettes de nos cuisines familiales et de nos restaurants toqués, le chef Thierry Marx et l’écrivain Bernard Thomasson racontent trente histoires formidables et croustillantes, croquées avec humour par le dessinateur Serge Bloch et sous le regard complice de la photographe Mathilde de l’Écotais.

Extrait

Gibier parfumé mais point trop, poché dans un fumet relevé de vin, égayé de pointes d’ail et d’échalotes, servi avec une sauce liée au sang de l’animal, voilà un mets fondant à souhait que le monarque pouvait savourer… à la cuillère. Et pour cause ! Sur ses vieux jours, Louis XIV était devenu complètement édenté.

Perdues, ses deux incisives de naissance qui déchiraient avec férocité les seins de ses nourrices. Arrachées, les molaires de sa mâchoire supérieure gauche, après des premières douleurs durant la campagne des Flandres. Tombées, les canines de la joue droite, suite à d’abominables douleurs au tournant du siècle. Extrait, l’ultime chicot, peu avant sa mort en 1715. Oui, l’homme le plus puissant en Europe à l’époque, souverain de la flamboyance et du raffinement, roi du paraître et de la prestance, était – ironie de l’histoire – un « sans-dent »…

Dès lors, ses maîtres queux surpassèrent leur imagination pour lui concocter des plats qu’il n’avait plus besoin de mâcher. Ainsi naquit le lièvre à la royale, mitonné durant des heures et servi quasiment liquide.