Courir est un plaisir. Une échappée belle à portée de jambes. L’impression de tout quitter pour se fondre dans le milieu qui vous accueille, surtout les petits sentiers de terre perdus dans la nature. Courir est un besoin. Une bulle qui suspend la vie. Le sentiment de retrouver la partie de soi perdue dans le maelström de l’existence. Sentir son corps dans l’effort physique, et fouiller son esprit – son âme ? – sans contrainte. Une forme de contemplation. Courir offre une liberté insolente. Toutes les frontières sont abolies, celles du temps et celles des hommes. Seul l’horizon compte, une ligne de fuite ouverte. Même pour un prisonnier lâché seul dans la nature.
Enfermé en maison de correction, en Angleterre, Smith est repéré pour ses talents de coureur. Le directeur l’inscrit à une course nationale des prisons, et espère emporter le ruban bleu et la coupe. Ce serait la preuve que sa méthode de réhabilitation et réinsertion par la course est une réussite exemplaire. Mais Smith ne lui offrira pas ce plaisir. La solitude du coureur de fond, classique de la littérature, est mis en scène en ce moment au Petit Hébertot, à Paris.
Challenge inouï pour Patrick Mons, l’acteur, qui court les trois quarts de la pièce, imprimant au texte d’Alan Silitoe le rythme de ses semelles sur les planches. À cette musique là, s’ajoute en surimpression et en dialogue celle du saxophoniste Art Pepper, interprétée par Essaïe Cid. Mons donne corps et vie à Smith, mais en plus, il fait surgir par son jeu corporel les ombres de grands coureurs comme Emil Zatopek dans sa souffrance physique, Abebe Bikila l’Éthiopien aux pieds nus, ou Wilma Rudolph la « gazelle noire » qui étirait le cou en arrière.
C’est un texte très actuel, sur la rébellion face à la société, sur une jeunesse désenchantée, sur des modèles imposés d’en haut. C’est aussi une éternelle réflexion sur le pourquoi de la course. Et c’est surtout un très bon moment de théâtre, dans une mise en scène minimaliste qui donne encore plus de force au jeu. La solitude du coureur de fond, jusqu’au 30 avril, au théâtre du Petit Hebertot.