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Il est des moments où le temps prend sa revanche. A force de lui courir après sans jamais pouvoir le rattraper, il trouve qu’on le délaisse trop et se débrouille pour vous enserrer dans ses mailles, à votre insu, et vous y emprisonner autant qu’il peut. Et voilà comment un beau jour, sous prétexte d’un pépin de santé, vous n’avez plus que lui comme compagnon des longues journées solitaires.

Autant dire que depuis lundi que je fais défaut à mon habituel micro (merci aux auditeurs qui s’inquiètent par twitter ou facebook interposé, rien de grave mais je suis cloué chez moi), j’ai profité de tout ce temps pour rattraper mon retard de lecture. Sans trop allitérer, disons que c’est au lit atterri qu’on lit à grands traits. En quatre jours je me suis donc englouti quelques livres que je vous recommande chaudement.

Dans les forêts de Sibérie (Gallimard), de mon ami voyageur au long cours Sylvain Tesson. Lui, a choisi d’arrêter le temps : six mois, seul, au bord du lac Baïkal, en Russie, dans une cabane de trois mètres sur trois, face à une nature sauvage et immense de beauté, face à un climat rude et envoûtant, face à une soixantaine de livres pour plonger au coeur de la construction humaine, face surtout à soi même (« Je vais enfin savoir si j’ai une vie intérieure »).

Brut, de mon confrère écrivain du Seuil Dalibor Frioux, qui fait froid dans le dos à raconter l’avenir pétrolesque que réserve (si on peut dire), notre planète et qui ne fait plus forcément rêver de la Norvège comme certains l’idéalisent aujourd’hui. Où le brut se savoure à petites gorgées nauséeuses qui procurent un plaisir inattendu. (« Le pétrole leur infligeait le manque comme autrefois les jouissances, avec cette même brutalité de liquidateur, exauçant ou éradiquant les souhaits les plus profonds.« )

Le Livre blanc (éd. Attila), d’un doux dingue à l’imagination fertile de projets aussi farfelus et irréalisables les uns que les autres, et à l’énergie inusable pour les mener malgré tout à terme. Rafael Horzon vit à Berlin depuis les années 90, et démontre combien cette ville qui m’est si chère, est un incroyable terreau pour plantes en tous genres !

Le goût de courir (mercure de France), pour m’entrainer sur les pistes du monde entier et celles de l’histoire (de la bataille de Marathon jusqu’au marathon de New-York), en attendant de pouvoir rechausser mes Asics. D’Homère à Beaudrillard, de Rousseau à Echenoz, et de Caroll à Murakami, les récits sont légion sur les coureurs, leurs étranges motivations, leurs rites quasi sacrificiels. Ils sont présentés ici par Antoine de Gaudemar. (« Paradoxalement, dans ce monde si rapide, la course à pied ralentit le temps. De nos jours, courir – à pied – est un acte de décélération. ») A lire même par les sédentaires !

La partition (Grasset), de mon compagnon de signatures (sur certains récents salons du livre) et de micro (il anime une très belle émission littéraire sur France Culture : « Du jour au lendemain »), Alain Veinstein. Où les murs invisibles des préjugés des différences et des haines que je cherche à abattre dans « Ma petite Française » peuvent aussi être appelés « partition ». Celle d’une ville (Berlin) comme chez moi, celle d’une famille (renigrement) comme chez lui. Qui plus est quand l’histoire est celle d’une passion (haine-amour) de deux musiciens, elle glisse sur une magnifique partition littéraire (« Quand j’entends cet homme jouer, c’est sa grâce qui me subjugue. Je crois entendre les battements de son sang. »)

Traité des sentiments contraires (Cheyne éditeur), du poète Jean-Pierre Siméon. Un texte écrit sur l’inspiration de « La Truite » de Schubert, sous forme d’un long poème en deux parties, comme deux sentiments en contrepoint : à l’avalanche des larmes succède la joie, peut-être. L’auteur met en garde sur la forme du livre, à l’encontre (selon lui) des normes poétiques actuelles. Mais comme il me l’a un jour confié : à chacun d’inventer ses propres normes, sa poésie personnelle. (« Si la joie doit venir elle viendra bonne fille implacablement, oh laissons-la venir compagne jaillissant d’un buisson inconnu. »)

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